L’Allemagne adopte un smic à géométrie variable

Posté le 7 Juil 2014

Dans une Allemagne habituellement si consensuelle, l’adoption par le Bundestag, jeudi 3 juillet, d’un salaire minimum déchaîne les passions. Avant le vote, chaque lobby a fait monter la pression.

Pour le syndicat de services Ver.di, clairement à gauche, « les électeurs ont été trompés » tant les exceptions au salaire minimum seront nombreuses. En revanche, le député bavarois Peter Ramsauer, vice-président de la CSU (et ministre des trasnports de 2009 à 2013) estime que la loi va « dans la mauvaise direction ».

Seul le Parti social-démocrate soutient comme un seul homme Andrea Nahles (SPD), la ministre du travail, qui porte cette réforme si emblématique pour son parti. « C’est une réforme sociale d’une ampleur historique », se félicite Thomas Oppermann, président du groupe social-démocrate au Bundestag. Quant à la ministre, elle estime que 3,7 millions de salariés sont concernés par cette augmentation de la masse salariale qu’elle évalue à 10 milliards d’euros « pour ceux qui sont en bas de l’échelle des salaires ».

Qu’un salaire minimum horaire de 8,50 euros (brut) soit instauré en Allemagne à partir du 1er janvier 2015 ne fait plus de doute. Le débat porte sur les exceptions. Celles-ci vont être négociées jusqu’au dernier moment. Mais il semble acquis que plusieurs catégories de salariés ne seront pas concernées.

ANTICONSTITUTIONNEL

Dès la présentation du projet de loi, un employeur qui embauche un chômeur de longue durée ne sera pas obligé de le réménurer au salaire minimum durant six mois, à moins que son entreprise ne soit liée par un accord instaurant un salaire minimum pour tous.

De même, les stagiaires pourraient ne pas être concernés par le salaire minimum durant les trois premiers mois de leur stage. S’ils font leur stage dans le cadre d’une scolarité en alternance, ils ne sont pas concernés du tout.

Enfin, deux types d’emplois « atypiques » devraient également passer au travers des mailles du filet : les 300 000 travailleurs saisonniers et… les 160 000 porteurs de journaux. Alors que l’agriculture allemande emploie de nombreux saisonniers venus d’Europe de l’Est, le patronat a obtenu que les frais pour l’hébergement et la nourriture puissent être déduits du salaire minimum.

Surtout, durant soixante-dix jours par an, ces emplois ne seront pas soumis à cotisations sociales. Quant aux sociétés de portage de presse, elles échappent au salaire minimum durant deux ans.

Certains juristes ont même plaidé que, dans ce secteur, le salaire minimum pouvait être déclaré comme anticonstitutionnel car portant atteinte à la liberté de la presse.

Enfin, il y a d’autres salariés qui ne seront pas tout de suite concernés. Ceux qui travaillent dans une branche professionnelle où les syndicats et le patronat parviennent, d’ici à la fin de l’année 2014, à un accord qui prévoit une mise en place d’un salaire minimum au 1er janvier 2017 seulement. Du coup, dans certaines branches peu habituées au dialogue social, le patronat découvre subitement le charme des accords sociaux. Et les syndicats acceptent le report du salaire minimum en échange d’un coup de pouce aux bas salaires dès cette année.

CONTOURNER LA LOI

L’agriculture, les taxis et l’hôtellerie-restauration entament des négociations en ce moment. D’ores et déjà, l’industrie de la viande – qui comprend les abattoirs décriés en France et en Belgique pour le dumping social – a conclu un accord prévoyant que les salariés toucheront au minimum 7,75 euros de l’heure ce 1er juillet, 8 euros au 1er décembre, 8,60 euros au 1er octobre 2015 et 8,75 euros au 1er décembre 2016. Idem dans la coiffure où les partenaires sociaux ont prévu dès la fin de l’année 2013 de n’atteindre les 8,50 euros que le 1er août 2015 en plusieurs étapes, différentes à l’est et à l’ouest de l’Allemagne.

Une fois ces accords signés, reste à les faire appliquer et respecter. Les syndicats craignent que dans plusieurs professions, notamment les taxis, les centres d’appels ou l’agriculture, les employeurs ne tentent de contourner la loi en incitant leurs salariés à se transformer en « faux indépendants » pour les payer à la pièce et non plus à l’heure. Pour contrôler de manière efficace l’application du salaire minimum, l’organisation qui représente les agents chargés de la lutte contre le travail au noir réclame 2 500 créations d’emplois ; 1 600 seront créés dès 2015.

Ces discussions sur le salaire minimum interviennent dans un contexte économique plutôt favorable. Au premier trimestre de 2014, les salaires réels ont progressé de 1,3 % par rapport au premier trimestre de 2013. Le pourcentage le plus élevé depuis 2011.

Source : Le Monde