Aix-la-Chapelle fait la fête de Macron

Posté le 14 Mai 2018

En présence d’une Angela Merkel qui tarde à répondre à ses propositions, le chef de l’Etat reçoit aujourd’hui le prix Charlemagne en récompense de son engagement pour l’Europe.

Si l’affolante fuite en avant de Donald Trump et le lourd climat social en France ont entamé son optimisme, Emmanuel Macron aura trouvé en ce jeudi de l’Ascension, à Aix-la-Chapelle (Allemagne), de quoi se remonter le moral. Partout des sourires bienveillants, pas le moindre sifflet ni l’ombre d’une critique pour le président français dans la cité du Saint-Empire romain germanique où il est arrivé mercredi soir pour se faire remettre ce jeudi, en présence d’Angela Merkel, le «prix Charlemagne» qui récompense chaque année, depuis 1950, une «contribution exceptionnelle pour l’unité de l’Europe».
Le chef de l’Etat ajoute son nom après celui de huit autres lauréats français, notamment Jean Monnet en 1953, Robert Schuman en 1958 et Simone Veil en 1981. Après François Mitterrand, Macron est le deuxième président français en exercice à être distingué. Le jury, composé de notables de cette ville largement détruite pendant la Seconde Guerre mondiale a voulu récompenser l’initiative en faveur d’une refondation de l’UE, présentée en septembre à la Sorbonne. Il le félicite également d’avoir fait la démonstration qu’il était possible, en campagne électorale, de faire obstacle à la poussée populiste en plaidant pour une plus forte intégration européenne.

Foule
Mercredi soir, Macron a été accueilli par des supporteurs charmés, avides de selfies et de poignées de mains sur le Katschhof, place rectangulaire bordée par la cathédrale au sud et la façade gothique de l’hôtel de ville au Nord. Plusieurs centaines de personnes s’étaient rassemblées, au milieu des stands de diverses organisations dédiées à la promotion de l’Europe fédérale et aux jumelages d’Aix-la-Chapelle, avec Reims, Tolède ou Halifax. Monika, une avocate bavaroise militante de l’association Pulse of Europe a fait «mille kilomètres pour voir Macron». Pourquoi ? «Parce qu’il est pour nous porteur d’espoir. Nous n’avons rien de comparable en Allemagne. Nos responsables n’ont pas de vision, pas de stratégie. Chez moi, en Bavière, on rêve de créer notre propre mouvement En Marche.» Sur le stand voisin, celui de «l’initiative citoyenne Europa-Union», Franz, prof de fac retraité, n’hésite pas parler de Macron comme d’une «bénédiction». Il serait «le seul», selon lui, à pouvoir faire avancer l’Europe. Il espère qu’à Berlin, le gouvernement l’aura «enfin compris».

Au-delà de cette petite foule europhile, le lauréat du prix Charlemagne 2018 semble toujours exercer «le charme» que la Chancelière avait évoqué l’an dernier. Un sondage diffusé mercredi par la chaîne de télévision ARD, 82% par Allemands disent approuver la volonté du président Français de «faire avancer» l’Europe. Et ils sont 58% à souhaiter que Merkel s’engage sur cette question avec «plus de passion». Le locataire de l’Elysée est nettement moins en forme chez lui : au baromètre IFOP Paris Match de mai, seule une minorité de Français (49%), a désormais une «bonne opinion» de lui. C’est six points de moins que le mois précédent et le décrochage est particulièrement sensible dans les classes populaires et l’électorat de gauche.

«Vous avez devant vous des gens qui croient en votre initiative sur l’Europe» a lancé le maire d’Aix-la-Chapelle, Marcel Philipp, à son hôte depuis la tribune installée devant l’hôtel de ville. «Ce qui nourrit la défiance», c’est que l’Europe a «sacrifié une partie de sa jeunesse», a répondu Macron dans une brève allocution. Non pas à Aix-la-Chapelle, a-t-il précisé, mais dans les pays du Sud de l’UE où le chômage des jeunes bat des records. «Pour construire une Europe plus unie et plus démocratique, nous devrons dépasser nos égoïsmes», a-t-il conclu.

«Propositions fortes»
C’est aussi le message qu’il a voulu faire passer dans l’interview qu’il a accordée mercredi soir au journal télévisé de l’ARD, consacré pour moitié à la crise iranienne. «Nous devons sortir de nos égoïsmes et de nos tabous», a-t-il martelé, s’efforçant de démontrer que «le statu quo» était «impossible» et que les Allemands avaient tort de croire que l’Europe leur fait payer l’addition. «Mais c’est faux !» s’est-il emporté. Si l’Allemagne a eu «le mérite» de faire au début des années 2000 les réformes qu’il engage aujourd’hui en France, elle est depuis dix ans largement gagnante et «bénéficie de la zone euro sur a base de déséquilibres». Avec des excédents commerciaux supérieurs à ceux de la Chine, cette situation «n’est pas durable». Mais sur la nécessité d’une Europe «plus solidaire», l’opinion allemande reste, comme la coalition qui gouverne à Berlin, plus que réservée. C’est la limite du sondage pro-Macron publié mercredi par l’ARD : avec ses propositions pour «une plus forte intégration de la politique financière», Macron ne convainc que 42% des Allemands. Ils sont 48% à juger qu’il «va trop loin».

Dans son entretien télévisé, le chef de l’Etat a dit ne pas douter que «des propositions fortes» seront formulées par Paris et Berlin à l’occasion du sommet européen de juin. Un optimisme que sont loin de partager les observateurs outre-Rhin. N’est-il pas déçu par le peu d’écho que semblent trouver auprès de la Chancelière ses propositions de «refondation» exposées en septembre à la Sorbonne ? Macron a très diplomatiquement répondu qu’il pouvait difficilement se permettre de faire preuve d’impatience puisque l’Allemagne, elle, «a longuement attendu que la France se réforme». Il se trouve qu’elle est en train de le faire. «La France d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a un an», a-t-il martelé, regrettant au passage que «ce profond changement» ne soit pas suffisamment «intégré», à son goût, de l’autre côté du Rhin.

Source : Libération