Sommet Franco-Allemand 19 juin 2018

Posté le 25 Juin 2018

Lors d’un sommet mardi 19 juin 2018 au château de Meseberg, les dirigeants français et allemand ont acté de réelles avancées sur le budget commun des pays membres, mais aussi sur la crise migratoire.

Paris s’était habitué à compter, en toutes circonstances, sur la stabilité allemande. Comme le notait mardi matin, pour s’en désoler, un éditorial de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, les Français vont devoir perdre cette bonne vieille habitude. Car c’est une Angela Merkel bousculée par une crise gouvernementale d’une intensité inouïe qu’Emmanuel Macron a retrouvée en milieu de journée pour une longue séance de négociation. L’objectif était, pour les deux dirigeants, de définir la «feuille de route» que «le moteur» franco-allemand entend soumettre aux 27 partenaires de l’UE à l’occasion du Conseil européen des 28 et 29 juin.

Au château de Meseberg, résidence champêtre du gouvernement fédéral perdue dans la campagne du Brandebourg, au Nord de Berlin, le Président et la chancelière se sont donnés plus de trois heures de négociations, déjeuner compris, pour rendre leurs ultimes arbitrages sur deux questions existentielles pour l’avenir de l’Union européenne : la réforme de la zone euro d’une part et, d’autre part, la définition d’une politique migratoire européenne. En fin d’après-midi, ils ont solennellement présenté, sous l’intitulé «déclaration de Meseberg», un relevé de conclusions qui représente, à les entendre, une étape décisive vers une UE plus intégrée et plus solidaire. «Nous sommes au rendez-vous», c’est félicité Macron après que Merkel venait de présenter à la presse les principales propositions contenues dans cette «déclaration» : coopération renforcée en matière de défense, avec création d’un «conseil de sécurité» de l’UE qui rende possible des décisions sans que s’impose l’unanimité, lutte contre les causes de l’immigration et protection des frontières de l’UE et enfin – «sujet le plus compliqué» selon la chancelière – renforcement de l’union économique et monétaire avec un budget de la zone euro. A ceux qui veulent «détricoter l’Europe», Macron oppose la réponse franco-allemande pour une Europe «plus souveraine et plus unie». «Un vrai choix de société et peut-être même de civilisation», s’est enflammé le chef de l’Etat.

Dans l’esprit de ses acteurs, le sujet prioritaire de ce sommet devait être la création d’un budget de la zone euro, proposition phare du discours prononcé par Macron à la Sorbonne le 26 septembre, au lendemain des législatives allemandes, alors que les partis allemands, la CDU de Merkel en tête, démarraient leurs négociations pour un contrat de coalition. Le président français n’imaginait évidemment pas que les responsables politiques d’outre-Rhin mettraient plus de six mois pour aboutir à constituer un gouvernement. Et il pouvait encore moins soupçonner que cent jours après sa réélection, la chancelière CDU verrait son allié Horst Seehofer, ministre CSU de l’Intérieur, menacer de rompre la coalition si la question du traitement des migrants, brutalement posée par le gouvernement populiste italien, n’était pas réglée d’ici la fin du mois.

Dans ces conditions, c’est le sujet des politiques migratoires qui, du point de vue allemand, devenait archi-prioritaire. Dans la crise qui secoue le gouvernement allemand après le détournement de l’Aquarius vers les côtes espagnoles, Macron se place clairement au côté de la chancelière, à qui il a donné un sérieux coup de main. Il a ainsi annoncé travailler à un accord entre plusieurs pays de l’espace Schengen pour que les demandeurs d’asile «puissent être repris le plus vite possible dans le pays où ils ont été enregistrés». Si cet accord aboutit, cela devrait permettre à Angela Merkel de résoudre sa crise gouvernementale, Horst Seehofer exigeant que l’Allemagne applique sans l’accord de ses voisins cette réglementation de refoulement des migrants vers le pays d’entrée. En contrepartie de cette fermeté, le couple franco-allemand milite pour plus de solidarité envers les pays concernés. Et pour une répartition équitable des réfugiés dans les Etats membres via une harmonisation des droits d’asile.

Cette inversion des priorités entre l’union économique et la question des migrants arrange plutôt Macron. Elle lui donne un argument supplémentaire à l’attention des sceptiques d’outre-Rhin qui craignent toujours que l’objectif ultime des manœuvres françaises soit de faire payer les Allemands.

Sur la question migratoire comme celle des économies européennes, c’est «le même manque de solidarité et d’unité» qu’il s’agit selon lui de combattre. A fortiori quand l’UE est «bousculée par les décisions unilatérales de Washington sur le commerce» qui vient de doper les droits de douane sur les exportations européennes d’acier. Ce dont Paris veut convaincre Berlin, c’est qu’en matière de politique économique, il faut rétablir au niveau européen les pertes de souveraineté nationale : «Avec la monnaie unique, les Etats ont perdu les outils – dévaluation ou dépense budgétaire – qui leur permettaient de faire face en cas de crise. Avec un budget de la zone euro, on restaure ses marges de manœuvres», explique un négociateur français.

Sur ce point, le sommet de Meseberg a acté de réelles avancées, comme la création d’une assurance chômage européenne. Il avait longuement été préparé par les ministres des Finances des deux pays, Bruno Le Maire et Olaf Scholz. Qui ont derrière eux cinq réunions, deux nuits blanches et, au total, trente-cinq heures de négociations. «Un accord majeur», s’est enthousiasmé Macron, saluant au passage le «travail très ambitieux et précis» livré par les deux ministres des Finances. Le chef de l’Etat a insisté sur la réforme du mécanisme européen de stabilité qui permettra aux Etats de faire face à des «chocs asymétriques» grâce à la mise en place d’un «filet de sécurité» bancaire. Surtout, Macron s’est félicité qu’après dix ans de débats, l’Allemagne et la France se soient mis d’accord sur la création d’un budget propre aux 19 membres de la zone euro, à l’horizon 2021. C’était un engagement gravé dans l’accord de coalition que Merkel avait négocié avec le SPD. Mais ces derniers mois, l’aile droite de la CDU montrait peu d’enthousiasme à le mettre en œuvre. Le Président et la chancelière se sont toutefois abstenus de préciser le montant dudit budget. Macron le chiffrait l’an dernier à plus d’une centaine de milliards d’euros. Paris laisse désormais entendre que quelques dizaines feraient l’affaire.

Source : Libération